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Mais le dernier acte s'approche, il reste au 60e peu de temps à vivre comme régiment ; le 6 août, un ordre le divise et le mutile : deux bataillons sont envoyés en Flandre pour prendre part, à l'offensive de l'Yser (1er et 3e) ; le 2e active quelques travaux urgents ; après quoi on ne lui cache point qu'il sera dissous. C'est donc un dernier tour de valse que l'on offre au 60e R.I.T. sur un terrain trois fois glorieux, avant le sacrifice final. L'armée française ne peut plus se payer le luxe de trop nombreux régiments territoriaux qui ne sont pas aptes à l'offensive.
Par Noisy-le-Sec, le régiment est emmené en 48 heures à Wagenburg, une gare de l'armée anglaise derrière Dixmude. Vers le soir du 12 août, les pépères du 60e étaient cantonnés à Rousbrugge sous la tente, le vieux marabout qui déjà abritait les zouaves de Bugeaud. Le 14, dans les boues où furent Stennstrate et la maison du Passeur, les territoriaux travaillaient sous les grosses marmites, avec la même conscience que sur les riches terres de Saône-et-Loire.
Pas une minute l'activité du régiment ne fut suspendue, pendant les jours et les nuits que dura l'offensive de la 1ère Armée. Sous les tirs de préparation, de destruction, de harcèlement, d'interdiction, de barrage, les vieux territoriaux sont là, partagés en trois équipes avec service de huit heures chacune. Par groupe de 5 à 20, ils aplanissent cette glèbe de Flandre que motte par motte leurs cadets arrachent aux envahisseurs. Les lourdes prolonges d'artillerie conduisent à pied d’œuvre les rondins de pins des Landes, sur une plaine désespérément plate et nue, balayée par les 88 et les 105, encore cramponnés à la Forêt d'Houthulst.
Les territoriaux se plièrent aux circonstances les plus rudes ; avant tout, ils tenaient au travail bien fait, question d'habitude et d'expérience, question d'amour-propre, question de patriotisme et de solidarité. C'était tout cela à la fois, car le territorial fut vraiment dans cette guerre le citoyen-soldat, à qui il ne manquait que la jeunesse pour posséder tout ce qui fait l'idéal, chevalier du droit et de la patrie.
Ces « bonshommes » ont été des héros. Ils ne comprenaient pas qu'on se fît tuer sans profit, et ils qualifiaient durement la vanité d'un geste inutile qui condamne à la mort tant de vies qui peuvent sauver la patrie. Mais quand le chef disait « II le faut », les territoriaux regardaient le danger avec un étonnant sang-froid. Ils savaient la loi des nécessités qui unissent les moyens à la fin ; ils avaient conscience nette que la vie de l'individu peut sauver la vie de la société et ils la donnaient « puisqu'il le faut ».
Ces « bonshommes » ont été d'efficaces artisans de la victoire par leur travail incessant. Terrassiers, bûcherons, ouvriers d'art, brancardiers, fossoyeurs, chefs de gare, pontonniers, agents-voyageurs, on leur a tout demandé entre deux périodes de combat et au sortir de quelque cent jours de tranchées ils ont fait consciemment tout ce qu'on leur a demandé. On a parfois usé à l'extrême de leur bonne volonté et mis leur bon sens à rude épreuve. Ils ont pu grogner dans leurs vieilles barbes, mais « ils marchaient quand même ». Leur conscience ne leur eût pas permis d'agir autrement et tout chez eux était marqué du sceau de la conscience.
Ces « bonshommes » n'ont perdu au contact des atrocités de la guerre ni leur bonté, ni leur justice, instincts de leur vie civile. Exécuteurs fidèles de la consigne, ils n'avaient pas de faiblesse pour le prisonnier ennemi, mais ils ne le faisaient pas souffrir.
Source : Historique anonyme du 60e R.I.T. - PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS - 1920
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