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COTE DU POIVRE
Le Régiment resta au repos jusqu'au mois de Février dans la région de DUNKERQUE, puis de BAR-le-DUC, et au camp de MAILLY. Il utilisa cette période à panser ses blessures, faire de l'instruction et à donner libre cours à sa gaieté habituelle. Imitant en cela les Zouaves de la DOBROUDJA et de SÉBASTOPOL, il saisit chaque occasion de donner des représentations théâtrales improvisées et de maintenir au plus haut degré son entrain et sa belle humeur. Le 15 Février, il prenait la route de VERDUN sous les ordres du Chef qui l'avait tant de fois conduit à la victoire, le Colonel DECHERF, revenu à peine guéri de sa blessure.
VERDUN ! Ce nom, qui incarne aux yeux de la FRANCE la ténacité héroïque de tous ses fils, mérite d'être inscrit en lettres d'or sur le Drapeau du 2e Zouaves. C'est lui qui reçut le premier choc devant la fière citadelle ; c'est lui qui, huit fois, reprît le chemin de La MEUSE pour disputer lambeau par lambeau à l'ennemi les approches de la forteresse ; c'est lui qui eut l'honneur enfin de rejeter l'Allemand, vaincu, d'un suprême coup d'épaule. Le 21 Février, quand le Kronprinz Impérial déchaîna sur VERDUN 600.000 Soldats, l'élite de l’Armée allemande, appuyée par toute l'Artillerie dont pouvait disposer l'ennemi, le 2e Zouaves se trouvait à DIEUE-sur-MEUSE. Le 22, au matin, il partait pour BRAS où il passait la nuit sous la neige. Ce même jour, le 11e Bataillon, aux ordres du Capitaine ANDRÉ, était mis à la disposition du Général Commandant la 72e Division pour former réserve sur la route de VACHERAUVILLE à BEAUMONT. Les deux autres Bataillons gagnaient, le 23, au petit jour, le bois des FOSSES.
Les circonstances étaient déjà critiques : Les unités de première ligne, écrasées sous le feu, avaient dû se replier et laisser à l'ennemi toute notre première position. Les quelques survivants, isolés, mal groupés, un peu démoralisés, ne tenaient plus que quelques parcelles du terrain et étaient dans l'impossibilité de résister à une nouvelle attaque en masse. BEAUMONT et le bois de la WAVRILLE étaient perdus ; le bois des FOSSES, coupé de ravins abrupts, était soumis sans interruption à des tirs inouïs de 210 et de 305 mêlés à de nombreux obus toxiques ; les Zouaves ignoraient tout du terrain et de la position de l'ennemi ; ils ne s'en préparaient pas moins à défendre bravement le bois des FOSSES.
Dans la soirée du 23, par une nuit noire, sous les bourrasques de neige, malgré un tir de 210 d'une violence sans précédent, le 1er Bataillon (Capitaine MARQUE), n'ayant aucune carte et ne connaissant pas le terrain, traversait à la boussole tout le bois des FOSSES et prenait position à la lisière.
Le 24 au matin, le 5e Bataillon (Commandant JACQUEMIN) et le Bataillon MELOU, du 2e Tirailleurs, recevaient l'ordre de reprendre le bois de la WAVRILLE. Sous les ordres du Colonel DECHERF, Zouaves et Tirailleurs s'élancent à l'assaut avec autant de calme et autant d'ordre que sur un terrain de manœuvre. Mais l'ennemi avait massé de nombreuses Troupes dans ce bois pour continuer sa ruée sur VERDUN. Nos lignes d'assaut subissent de lourdes pertes sous le feu des mitrailleuses et les barrages d'Artillerie.
Elles n'en avancent pas moins, abordent l'ennemi à la baïonnette et pénètrent dans le bois. Ce succès local ne pouvait être qu’éphémère ; on ne lutte pas à un contre cent. Les unités de gauche et de droite, attaquées vers 13 heures, sont obligées de lâcher pied ; de toutes parts jaillissent les fusées blanches qui marquent les progrès de l'avance allemande. Elles apparaissent bientôt dans le bois des Fosses même. Il fallait choisir entre une capture inutile ou la retraite. Le Colonel DECHERF lança l'ordre de repli. Par échelons, sans cesser de tirer, imposant à l'ennemi leur volonté, les 1er et 5e Bataillons gagnent les hauteurs de FROIDETERRE où ils se placent en réserve de Troupes fraîches qui viennent d'arriver.
Seules, la Compagnie CHENORIOT et les Sections de Mitrailleuses régimentaires, sous les ordres du Capitaine MARQUE, prennent une route légèrement différente et viennent se placer aux abords de LOUVEMONT, Elles allaient contribuer, le 25, à arrêter presque définitivement l'offensive allemande sur la Côte du POIVRE et permettre au Général PÉTAIN d'amener ses réserves stratégiques.
Le 25, à 10 heures, l'ennemi lance une première attaque sur LOUVEMONT et est repoussé. Une nouvelle attaque à 14 heures prend pied dans les Tranchées Françaises, mais est rejetée par une contre-attaque impétueuse. A 16 heures, l'ennemi lance une attaque générale sur tout le front de DOUAUMONT à La MEUSE. Le combat fut héroïque. Fatigués par trois jours de bataille, sans ravitaillement, écrasés sous les obus, les Zouaves se cramponnent au terrain.
Les mitrailleuses crépitent sans interruption et recouvrent le sol d'un manteau gris de cadavres. La mitrailleuse du Caporal CATINAUD s'enraye ; il n'a pas le temps de chercher les outils nécessaires, il plonge le doigt dans le mécanisme et malgré la douleur que lui cause une coupure atroce, continue le tir. L'ennemi, cependant, progresse ; à notre gauche, il entre dans LOUVEMONT et parvient à prendre pied dans nos Tranchées. Les Zouaves se battent corps-à-corps. Le Caporal DURET, percé de deux coups de baïonnette, reste sur sa pièce de mitrailleuse et abat de nombreux Allemands à coups de mousqueton.
Tant d'héroïsme n'était pas dépensé en vain. Le 25, malgré l'importance des attaques allemandes, la progression fut presque nulle. Par la « Voie Sacrée », les camions automobiles amenaient sans répit les Troupes fraîches et les canons. Le 2e Zouaves avait perdu 31 Officiers et 1.650 hommes, mais il pouvait être fier, car il avait contribué pour une large part à sauver VERDUN.
Source Historique du 2e Régiment de Marche de Zouaves. Henry Charles-Lavauzelle
Avec l’aimable autorisation de Jean-Luc Dron