Vous souhaitez partager les archives de vos ancêtres lors de la première guerre ?

Contactez-moi

Merci

Vous recherchez un lieu, une carte, le parcours succinct d’un régiment, des photos

NOUVELLE MISE A JOUR LE 15 avril 2014

mercredi 2 février 2011

LA GUERRE DE MINES


La Côte 108.

La côte 108 allonge sa silhouette tourmentée dans la presqu’île triangulaire que détermine la jonction du canal latéral à l'Aisne et du canal de l'Aisne à la Marne. Sa pente orientale s'incline mollement vers les larges ondulations de la montagne de Sapi­gneul ; sa pente occidentale s'infléchit brusquement vers les ruines de Moscou, retenue en son milieu par deux accidents de terrain : au Nord, la carrière Française aux versants grisâtres, au Sud, une butte massive qui arrête et fixe les décombres de la falaise.
La guerre en a bouleversé la physionomie et le dessin primitifs. Du somptueux manteau de verdure, elle n'a laissé subsister que de maigres touffes brûlées et quelques chétifs sapins à flanc de coteau. De l'architecture tabulaire initiale, elle n'a respecté que les grandes lignes, creusant dans la nappe crayeuse de l'Ouest de profondes déchirures bordées de monceaux d'éboulis. Un éperon jaunâtre au sommet dénudé et légèrement bombé, aux flancs abrupts, déchiquetés et tachetés de blanc, telle apparaît la côte 108 dans le cadre monotone des collines boisées environnantes.
Son originalité topographique issue de l'âpreté de la lutte s'explique par son importance stratégique. Sentinelle enfoncée en coin dans nos lignes, la côte 108 domine en surplomb notre système fluvial, notre réseau viaire, nos positions d'artillerie, l'Aisne, les canaux, la grand'route de Reims, le bois des Geais, le Massif de Cormicy. Elle croise ses feux avec ceux de Craonne et de Briment pour prendre de flanc tout mouvement qui tenterait de déborder ces deux forteresses. C'est une pièce capitale du système défensif allemand. Les Saxons la défendent avec une énergie farouche, teintée de mysticisme. Perchés sur la crête, ils défient orgueilleusement les Français nichés dans le flanc crevassé. Impuissants à se saisir corps à corps sur un terrain découvert, pilonné par l'artillerie et battu par les torpilles, les adversaires percent la masse crayeuse et s'exterminent à coups de mines et de camouflets dans des combats souterrains.
Le 25 Avril, à l'heure où le 1er de Ligne, prend la responsabilité du secteur, la situation tactique se présente sous un jour sombre. Les Français, appuyés au canal desséché de Sapigneul, ont poussé leurs travaux d'approche jusqu'à mi-pente. Au Nord, ils tiennent les ruines de la Cimenterie ; leurs avant-postes séparés des. Allemands par la largeur d'un couloir occupent un compartiment de la maison Franco-Boche. Au centre, ils se blottissent dans les caves de la Carrière ; un escalier en lacet escalade la pente et aboutit aux deux bourrelets qui accusent dans le flanc crayeux la présence de nos troupes. Au Sud, ils se cramponnent aux parois croulantes de la Butte. Les Allemands, à l'abri d'une ceinture de chevaux de frise et d'un rideau hérissé de fil de fer, ont creusé au sommet de la côte les fortifications du Karlberg. La grande carrière qui entaille le flanc Est sert de débouché à leurs pionniers, d'abri à leurs fantassins, de dépôt à leurs artilleurs de première ligne.
Les tranchées françaises étaient taillées à découvert dans un sol friable qui s'effritait au premier choc. Les soldats du 1er les garnirent de tôles ondulées et les consolidèrent avec des madriers et de puissants cadres en bois dur. La vie n'en était pas moins précaire. Tantôt les grenades meurtrières « manches à gigots » ou « tourterelles » frappaient, derrière son pare-balles, le guetteur vigilant ; tantôt les « gros » de Brimont s'abattaient en rafales, trouant les clayonnages, bouleversant les chevaux de frise et les sacs de terre ; tantôt, les torpilles à ailette s'élevaient des hauteurs du Karlberg, traçaient dans le ciel un sillon lumineux et retombaient en ronflant dans nos lignes, nivelant les positions, comblant les creux, renversant et enterrant les défenseurs par le jet d'énormes éclaboussures ou par le seul déplacement d'air. On voyait les sinistres emmurés surgir de l'enveloppe crayeuse, le visage marqué de blanc, les yeux hagards, les traits tirés, tels des spectres. Et quand nos batteries et nos crapouillots maîtrisaient à la surface l'activité des artilleurs ennemis, les poilus épiaient anxieusement dans les profondeurs du sol les bruits lointains qui signaleraient le fourneau de l'explosion prochaine.
Chaque jour, les équipes de pionniers s'acheminaient vers les puits d'extraction et se glissaient dans les couloirs ténébreux. D'un bras robuste maniant la pelle et la pioche, ils allongeaient sous les positions ennemies les sournois tentacules des galeries souter­raines. Parfois l'adversaire, mis en éveil par un sondage, faisait jouer un camouflet qui les broyait dans leur boyau. Parfois les hasards du creusement les amenaient effarés en présence des travailleurs ennemis. S'ils parvenaient sans encombre au but visé, le fourneau était foré et bourré de cheddite, le couloir d'écoule­ment bouché, la mèche allumée. Un craquement... une secousse... une énorme projection de matériaux... un tourbillon de flammes et de vapeurs qui emportait les défenseurs, une avalanche de craie qui les engloutissait... C'était une brèche nouvelle dans l'enveloppe déchiquetée de la côte 108. D'un bond les combattants, armés de la grenade et du pistolet automatique, se précipitent sur ce volcan fumant pour s'en disputer le cratère. Les seaux à charbon éclatent de toutes parts, les tirs de barrage s'allument, et malgré le bruit infernal, les gaz délétères, les torpilles et les schrapnells, les poilus, fiévreux mais stoïques, dégagent de leur linceul de pierre les cama­rades ensevelis vivants ou les corps en lambeaux des explosés.
Ces scènes horribles se renouvellent deux fois chaque semaine. Les soldats du 1er le savent. Ils frissonnent quand, des positions de soutien de Moscou, ils aperçoivent, empanachée de brume et de fumée la silhouette massive de la côte 108 où demain à la relève, ils sauteront peut-être. Néanmoins ils tiennent bon et prolongent six mois durant leur séjour sur ce volcan. Suivons-en brièvement les émouvantes péripéties.
Vers la fin Avril, quand le chef de bataillon Winkler, com­mandant le génie de la 1ère Division, prit en mains la direction de la guerre de mines, nous étions dangereusement handicapés. L'avance allemande, protégée par la carapace du Karlberg, menaçait nos positions de la Cimenterie. Pour l'enrayer, trois rameaux furent percés, l'un fonçant au centre vers la galerie allemande, l'autre la débordant à droite, le troisième la contour­nant à gauche suivant une ligne parallèle à l'à-pic de la Cimenterie.
Les travaux furent hâtivement poussés, la compagnie du génie 1/1, un détachement de mineurs territoriaux et 160 soldats du 1er se relayant jour et nuit. Le 23 Juin, le rameau central abordait aux tranchées allemandes. A 3 heures 15 un fourneau de 4650 kilos de cheddite explose emportant un pan de la crête dans un tourbillon de poussière blanche. Les positions ennemies crevées au centre par un entonnoir de 40 mètres de diamètre, comblées sur 80 mètres de longueur par un déluge de projectiles ne sont respectées que sur les ailes. Pour les nettoyer, deux patrouilles de douze hommes percent le barrage de gaz et d'obus. A gauche, le sous-lieutenant Cagnard tombe asphyxié, l'adjudant Sylvain décapité. Mais le soldat Beaucotte bondit dans les tran­chées boches, en abat les défenseurs et rentre dans nos lignes, ramenant pieusement dans ses bras le corps de l'adjudant Sylvain. A droite, la troupe flotte un instant sous les émanations de gaz. De sa voix claironnante, le capitaine Remacle là raffermit et l'enlève : « Allons mes enfants, pour la France, en avant ! » L'aspirant Goubet fait irruption dans la ligne allemande, en déloge à la grenade des mitrailleurs saxons et regagne heureusement ses positions.
Pour amortir ces frictions que l'entrain combatif des Français rendait très douloureuses, les Allemands dessinèrent à coups de mines entre leurs positions et les nôtres un alignement de petits cratères. Ils exécutèrent dans les couches profondes de multiples sondages. Notre attaque par la gauche fut ajournée, notre attaque de droite fut éventée par l'ennemi. Le 11 Juillet, un sergent et deux sapeurs virent osciller sous des coups étrangers les parois de leur galerie souterraine. Haletants, ils étouffent les lumières, se collent sur le sol et attendent. La brèche s'agrandit ; bientôt, deux pionniers allemands s'avancent en rampant. Les nôtres se débus­quent, bondissent sur les intrus, ombres luttant avec des ombres, sans pouvoir les étreindre. Enfin des renforts français accourent. A coups de grenades les boches sont pourchassés dans leurs terriers. On se camoufle mutuellement et tout rentre dans le silence.
Pendant qu'en profondeur, mines et camouflets se répondaient suivant un rythme implacable, les Allemands accroissaient en surface la puissance de leur artillerie et tentaient de nous intimider par des arrosages quotidiens.
C'est dans un de ces bombardements; le 7 Juillet, que fut tué le lieutenant-colonel Hulot, commandant du 1er de Ligne, Sur le point de partir en permission, il avait exploré le secteur en compagnie de son remplaçant, le lieutenant-colonel Willer, du 78e Régiment d'Infanterie territoriale, et du capitaine Virmont, de l'Etat-Major de la 5e Armée. Il conversait avec eux à l'entrée de son poste de commandement près de la sucrerie de Moscou. Un obus siffle, quelques cyclistes témoins de la scène se couchent précipitamment. Le chef reste debout et tombe frappé à mort ainsi que ses deux visiteurs.
Ce geste suprême dans sa noble simplicité caractérise de façon saisissante l'âme forte et loyale que fut le colonel Hulot. Il ne concevait jamais qu'une attitude, celle du devoir, et l'adoptait - dût-il en mourir - sans forfanterie et sans raideur, avec calme et dignité. « Il fit excellemment tout ce qu'il avait à faire », sans qu'une ombre d'ambition personnelle ait jamais effleuré sa droiture native. La guerre qui fut si décevante aux qualités purement brillantes, en élargissant pour lui le cadre des respon­sabilités, ne fit qu'accuser davantage sa science professionnelle et sa vaste envergure morale. Sa mémoire restera pour le 1er de Ligne une leçon éclatante de conscience et d'honneur militaire.

Source BDIC Historique du 1er de Ligne