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NOUVELLE MISE A JOUR LE 15 avril 2014

jeudi 3 novembre 2011

LA BUTTE DE VAUQUOIS



A L'ASSAUT DE LA BUTTE DE VAUQUOIS
28 FÉVRIER 1915

Voici un récit vécu de la conquête de la fameuse « Butte », de sinistre mémoire, comme les Eparges, pour tous les rescapés des sanglants combats qui s'y déroulèrent avec une telle frénésie que cette croupe célèbre devait, à la suite des éruptions volcaniques des mines et contre-mines, voir son niveau s'affaisser de plusieurs mètres. On hausse les épaules, aujourd'hui, devant cette bêtise sans nom qui faisait, à cette époque-là, encore sonner la charge et jouer La Marseillaise au moment de l'assaut. Mais c'étaient les derniers sursauts d'une vieille pratique militaire qui ne voyait la charge à la baïonnette que comme l'épisode final et magnifique d'une manœuvre de garnison.

Les obus continuent de tomber dans un vacarme assourdissant sur la colline. Les officiers encouragent les hommes de leur mieux.
« On entrera dans Vauquois sans tirer un coup de fusil, disent-ils, et l'arme à la bretelle !... »
On aurait pu croire aisément ces paroles encourageantes. Chacun pensait qu'après un pilonnage semblable on ne retrouverait plus qu'un cahot d'abris et de tranchées sanguinolentes aban­données...
Mais les Allemands, devant ce déluge de fer, se retireront tout bonnement en arrière et feront appel, entre temps, à des renforts.
Après cinq heures de bombardement ininterrompu dont l'intensité n'a jamais été égalée jusqu'à ce jour sur le même objectif et sur aucune partie du front, un clairon s'est mis à sonner la charge

Il y a la goutte à boire, Là-haut !...

C'est le signal. Il est une heure de l'après-midi. Notre artillerie cesse tout à coup pour nous donner le champ libre. Par malheur, la charge a sonné quelques minutes trop tôt, ce qui permet aux éléments allemands encore valides de se ressaisir et de venir réoccuper leurs tranchées.
Le clairon les a avertis. Tant pis ! Les commandements de : «En avant ! » se sont répercutés sur l'ensemble du secteur.
Dans un élan superbe, les soldats gravissent lestement les échelles et montent maintenant sur la pente de la « Butte ».
Les baïonnettes étincellent sous la rafale de feu.
Là-bas, à la ferme de Bertramet, le général Valdant, voyant partir ces guerriers dans un assaut sublime, se tourne vers ses officiers et dit en se découvrant :
« Saluez ! Messieurs ; ce sont des héros qui s'en vont à la mort !... »
Non loin de nous, près de la « gabionnade », les musiciens, sous le comman­dement du sous-chef Laty, entament la Marseillaise.
Ces giboulées de grésil glacial qui faisaient trembler nos pauvres carcasses durant ces cinq heures de bombarde­ment intense, semblent, tout à coup, avoir été balayées par la tempête.,., l'autre... la tempête de feu...
Maintenant que les fantassins des deux camps sont en contact, l'artillerie ennemie donne de la voix et remplace la nôtre. Des obus allemands de tous calibres s'abattent dès lors sur le ver­sant sud de la colline, sur ces hommes qui montent à l'assaut, sur le Chemin Creux où nous nous faisons petits et sur la « gabionnade » pour empêcher nos renforts d'arriver.
Pour intimider le régiment, l'ennemi envoie deux formidables obus de 305 au pied du « Mamelon Blanc », sans faire trop de dégâts.


Le lieutenant attend toujours impa­tiemment l'ordre de se porter à tel point du village. Mais, tout à l'heure, il m'a soufflé : qu'une fois la « Butte » en notre possession, nous irons, avec le 1er bataillon, installer nos mitrailleuses de l'autre côté de la colline dans un petit boqueteau... Brrr ! N'y tenant plus, il s'avance dans le chemin montant pour aller aux renseignements. Mais notre position devient de plus en plus périlleuse. Nous sommes au beau milieu du tir de barrage de l'ennemi.
Se déplacer est pure folie. Il faut se résigner à se laisser massacrer sur place... Nous restons plaqués aux derniers gabions qui prolongent la route jusqu'ici. Nous vivons dans un enfer indescrip­tible. « Ça tombe tout autour de nous et « ça » soulève la terre, les hommes, des poutres de bois et de fer...
Il ne faut plus se faire d'illusion sur notre sort.
J'égaille un peu les mitrailleurs afin d'éviter trop de pertes si un obus arrive sur la section. On ne sait rien de ce qui se passe sur la « Butte » et on n'ose pas la fixer. Si je fais cet effort, j'aperçois de la fumée, des pierres soulevées et une pluie de terre qui retombe alentour.
Le vacarme est assourdissant. Il faudrait se parler à l'oreille pour s'entendre... Et encore !...
Nous serons étonnés d'apprendre, plus tard, que la musique n'a pas cessé de jouer l'hymne national malgré ses pertes. Nous n'entendons plus rien qu'un sourd bourdonnement dans les oreilles à faire éclater la tête.
Mais nous voyons enfin la deuxième vague arriver sur la « Butte », la baïon­nette haute. Les fantassins, debout ou agenouillés, épaulent et tirent. Quelques-­uns tombent à la renverse en battant l'air des mains... Plus près de nous, un bras arraché, venant on ne sait d'où, s'étale sanguinolent sur le Chemin Creux où s'entassent déjà des morts et des moribonds. Les remplaçants de ceux de la veille l...
Et le défilé des blessés commence. Celui-ci est transporté par deux jeunes prisonniers qui viennent de se rendre au lieutenant Michel. Je vois encore ce brave officier, tenant ses deux prises par les oreilles pour les remettre à la garde d'un caporal. Deux autres blessés ramènent un de leurs camarades. Ils ont fort à faire avec cet homme qui hurle et se débat. Ses yeux sont hors de la tête ; ses dents sont serrées sur une racine d'arbre en travers de sa bouche... Il est fou !...


Cet autre, qui dévale la pente en courant, soutient sa mâchoire inférieure qui ne tient plus que par quelques lambeaux de chair. Ce qui fût une bouche n'est plus qu'un trou béant ensanglanté où remue, impuissante, la moitié d'une langue dans un caillot de sang ; un tronçon de langue qui, par des cris rauques, nous fait comprendre qu'elle demande le chemin du poste de secours.
Nous lui indiquons la direction à prendre.
Arrivera-t-il jusqu'en haut de son calvaire ? sur le « Mamelon Blanc », où les médecins doivent être débordés d'ouvrage. Sur le moment j'en doute, et je douterai encore davantage lorsque je le rencontrerai plus tard avec sa mâchoire rafistolée...
A ce moment, les blessés valides qui passent font courir des bruits inquié­tants... On reculerait sur la pente ouest !... Il faut redoubler de vigilance et se tenir prêt à se porter là où la mi­traille » sera nécessaire... Il est quatorze heures. Je cherche en vain le lieutenant qui tarde à revenir.
Et, tout à coup, un cri sur notre gauche : « les Boches nous tournent l... »
En effet ! quelques éléments allemands arrivent jusqu'à la route, près de la Cigalerie, près du dépôt de munitions, et commencent à tirailler sur des soldats du 89e qu'ils ont refoulés jusque-là.
Quel beau tir en enfilade pour une mitrailleuse !...
Je me porte de ce côté avec la 2e pièce. En un clin d’œil la mitrailleuse est placée et pointée dans la bonne direction. Tout mon monde est là ; du moins je le crois... Hélas ! il me manque le principal : les cartouches !... Je hurle, je m'égosille :
« Les pourvoyeurs l... A moi !... »
Ils sont sans doute « planqués » dans un trou et ma voix serait-elle plus forte que le rugissement du lion qu'on ne l'entendrait pas à deux mètres. Je désespère de manquer ce « beau coup » qui se présente si ce doit être le seul de la journée ?...



On croirait que tous les éléments de la terre sont déchaînés autour de nous. Je m'époumone pour rien. Je monte sur une petite éminence pour faire les signaux réglementaires de demande de munitions : les bras tendus horizon­talement. Entre deux explosions, j'en­tends les mitrailleurs, tassés près de la pièce, me crier
« Planque-toi ! Tu vas te faire « mou­cher » !... »
Des éclats d'obus de toutes dimen­sions voltigent en effet dans tous les sens pour venir s'aplatir tout chauds, tout striés, tout tordus, autour de notre position. Ces morceaux de ferraille sifflent et ronronnent épouvantablement dans l'air. Ils nous enlèveraient un bras ou la tête aussi proprement qu'un bou­cher de métier pourrait le faire. Et il faut garder tout son sang-froid dans cette atmosphère infernale...
Tout cela se passe en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire ; et les Alle­mands, aplatis en tirailleurs, sur la gauche, fusillent des soldats à bout-­portant. Nous pourrions les balayer d'un seul coup et nous restons impuis­sants.
J'aperçois enfin sur la droite, à quelque cinquante mètres, un de mes pour­voyeurs agenouillé près d'un gabion renversé. Que fait-il ainsi prostré ?... Il ne m'entend pas et ne nous voit pas. Je m'élance vers lui pour le ramener avec ses munitions. En arrivant à sa hauteur, ma voix, qui s'apprêtait à l'apostropher de belle façon, s'arrête dans ma gorge. Un spectacle affreux et poignant me cloue sur place. Près du gabion aplati qui laisse échapper ses entrailles de pierres et de cailloux entre les croisillons de ses fascines arrachées, un homme, approchant la quarantaine, est allongé la face vers le ciel. Tel son fragile rempart, le soldat a le ventre ouvert. Il fait un effort surhumain pour éloigner la mort de quelques instants.


Mon pourvoyeur a levé la tête mais il ne pense plus à son emploi de ravi­tailleur. Il me fait comprendre que le moribond est natif du même village que lui. Les yeux du blessé laissent deviner qu'il m'implore d'autorisée son camarade à rester à ses côtés jusqu'à l'instant suprême.
Mon pourvoyeur retient ses larmes et console son ami comme il peut : - Ce ne sera rien !. Tu seras bien soigné !... lui dit-il. Mais le blessé comprend sa situation. Il voudrait faire des recommandations mais ses forces le trahissent. D'une main il soutient un paquet informe, rouge et noir ; les intestins, sans doute, qui tentent de s'échapper de la large plaie qui s'ouvre à chaque respiration accélérée par la fin proche. De l'autre il tire péniblement d'une poche de sa capote, une photo de femme qu'il essaie encore de porter à ses lèvres, puis sa montre :
- Tu lui diras où je suis tombé !!... Ma femme !... Tu lui rapporteras ma montre...
J'ai saisi les deux caisses de cartouches et j'ai laissé le mitrailleur fermer les yeux de son camarade...
Toute cette scène poignante s'était déroulée dans l'espace de quelques minutes. Quand je fus de retour près de ma pièce avec mes munitions, il était trop tard ; les vaillants soldats du 890 s'étaient ressaisis et avaient refoulé l'ennemi.

Henry-Jacques HARDOUIN.
(Tiré du livre de l'auteur : « Avec les « Bleus » du Premier Grenadier de France.)

Source Document extrait de l'almanach du combattant 1939, pages 305 à 308,
Article : A l'assaut de la butte de Vauquois 26 février 1915, auteur : Hardouin Henry-Jacques

Des photos sur Vauquois


Merci à Jean-Claude PONCET

lundi 31 octobre 2011

LE BOIS DE MORTMARE

AVRIL 1915
LE BOIS DE MORTMARE

Infatigable dans sa fidélité à conter ses souvenirs d'artilleur de 75, notre ami Camille Vilain évoque ce printemps d'avril 1915, au lieudit le bois de Mortmare, au nom funèbre, qui fut parfois célébré dans les communiqués et où, malgré l'envahissement de l'eau, des hommes souffrent de la soif. On s'y affronte durement. On y consomme des masses d'obus de tous calibres. Un mauvais coin où, des deux côtés, les morts s'accumulent.

LE Bois de Mortmare, bien que ce nom ait maintes fois figuré dans les communiqués du 1er au 25 avril 1915, occupe dans nos souvenirs une bien petite place et, pour qui a vécu par la suite Verdun, la Somme ou les attaques de Cham­pagne, cela s'explique facilement. Les opérations qui s'y déroulèrent forment cependant un des épisodes les plus sanglants de ce premier printemps de la guerre et ont, en outre, cette particularité d'avoir inauguré pour l'artillerie une nou­velle méthode de tir : le bombar­dement de choc, si je puis dire. On avait compris, à l'exemple de nos ennemis, qu'il fallait écraser avant d'attaquer et l'on employa pour cela tout ce que nous avions de bouches à feu.
On pardonnera à un artilleur, jeté dans la mêlée, d'évoquer ce que furent les trois semaines qu'il passa dans un véritable marécage, avant que nos assauts répétés nous eussent donné la précieuse crête que nous voulions.
Le Bois de Mortmare (au sud-­est du département de la Meuse) couronne une petite éminence qui, par la vue qu'elle offre à son som­met, est de première importance pour les opérations à venir. Or, les Allemands, avant nous, s'en sont emparés et nous voulons les en déloger.
C'est un trajet en chemin de fer (wagons à bestiaux) qui, de la région de Verdun, nous conduit par Sainte-Menehould et Bar-le-Duc à Vaucouleurs.
Quelques heures dans cette petite ville aux cafés accueillants et aux magasins de toute sorte et nous entamons une interminable et épuisante étape qui, passé Pagny-­sur-Meuse, nous amène, la nuit tombée, dans le secteur du Bois de Mortmare.
Comme s'il en avait été prévenu, l'ennemi salue notre arrivée par une série de rafales qui, par bon­heur, à part quelques égratignures au matériel, ne causent pas de dégâts notables.
Nous sommes, en pleine obscu­rité, dans un terrain spongieux et gluant que nous explorons à grand-peine. Toute la nuit nous travaillons pour établir nos pièces et tenter de rendre habitable une sorte d'abri ; je dirais plutôt un trou aux abords écroulés, où il y a déjà vingt centimètres d'eau.
Sur cette position, l'humidité sera d'ailleurs, de nuit et de jour, notre constant souci. Elle est par­tout et fait corps, en quelque sorte, avec l'air que nous respirons. En dehors même d'averses torren­tielles, le sol est gorgé d'eau et, sur les rares buissons, les gouttes se reforment au gré d'une bruine indiscernable qui humidifie la peau et trempe les vêtements. Il semble que l'on évolue dans une masse liquide qui n'est pas un brouillard et cependant traverse gilets et vareuses, se glisse dans les manches, dans les poches, ce qui à la longue est extrêmement pénible.
Devant nous, un petit bois, fort éprouvé par la mitraille, où des équipements français et allemands, entre des arbres déchiquetés et suintants, témoignent que l'on s'y est durement battu ; chaque trou est une mare et chaque ornière, une rigole.
Comme nous ne pouvons, mal­gré nos efforts, assécher la cabane qui nous est attribuée - l'eau revenant au fur et à mesure que nous la vidons - nous en sommes réduits à installer au-dessus de la nappe liquide des couchettes surpilotis, réalisées avec des pieux et des fils de fer croisés et que nous atteindrons à l'aide d'un escabeau de fortune.
Par contre, l'eau potable manque totalement. C'est un fourgon qui, assez irrégulièrement, nous en apporte une petite quantité et nous souffrons de la soif. Très tôt, nous prenons la faction, aux fusées qui, sous le ciel sombre, se succèdent à la moindre alerte.


Dimanche 4 avril 1915.

De bien tristes fêtes de Pâques. Il pleut, et, entre deux tirs, nous restons enlisés dans nos trous.
Nous avons, par ailleurs, et sitôt notre arrivée, aménagé dans les proches tranchées des obser­vatoires avancés. Ils offrent à leur occupant une vue fort intéressante des objectifs, mais le séjour n'y est pas sans danger.
Hier soir, c'est le lieutenant Kammerer, un fort brave et très sympathique officier, aimé de tous, qui s'y est fait tuer et cette perte nous affecte beaucoup.

Lundi 5 avril 1915.

Grande attaque française sur le Bois de Mortmare. Nos rafales se succèdent à cadence accélérée. Le ciel est en feu. Nous recevons l'ordre de tirer 150 coups de suite par pièce, ce qui n'était encore jamais arrivé.
C'est là un exemple de ces « tirs massifs » dont je parlais ci-dessus.
Pour donner une idée de leur densité, il faut se rappeler que si le « 75 » n'est pas un canon lourd, il est essentiellement un canon à tir rapide, je dirai même à tir très rapide.
Dans les exercices de célérité de nos écoles à feu du Camp de Mailly (mai 1914), une équipe entraînée arrivait à tirer 22 à 23 coups à la minute d'une même pièce.
Si l'on tient compte des difficul­tés rencontrées sur un terrain moins propice au tir, la cadence sera évidemment ralentie, mais restera tout de même, s'il le faut, à 17-18 coups minute.
Nous avons ainsi 180 coups en dix minutes pour une pièce, 720 coups pendant le même temps pour une batterie de quatre pièces et 2160 coups, si le groupe de trois batteries est en place.
Que l'on imagine maintenant ce que peut être un secteur d'at­taque soudainement arrosé pen­dant dix minutes de 2160 obus explosifs (les plus efficaces). Je pense qu'il y aurait là, l'effet de surprise s'ajoutant aux destruc­tions, une sérieuse préparation pour l'assaut.
Pour ne rien oublier, j'ajoute que ce même jour, pour accroître encore notre puissance de feu, une section d'anciens canons de 90,avec ses spécialistes, est venue se joindre à nous et les vétérans qui la servent ne boudent pas à la besogne.
A 11 h 30, une nouvelle attaque des nôtres est déclenchée et ce sont, à doses massives, de nouveaux tirs.
A 17 h 30, c'est le départ d'une troisième attaque française quicomplète notre victorieuse avance du matin. Les pertes allemandes sont - nous dit-on -considé­rables.
Un agent de liaison a même ce mot pour nous : « Un nettoyage comme je n'en ai jamais vu, dit-il. Une contre-attaque allemande est anéantie, à son départ, sur ses propres tranchées. »
Bien entendu, notre action n'est pas sans réponse allemande.
Nous sommes sous un feu continu et assez dense sur les divers objectifs de la position. Par bonheur, de nom­breux projectiles, surtout les très gros, s'enfoncent dans le sol détrempé sans éclater ; d'autressoulèvent d'énormes boursouflures de terre.

Mardi 6, mercredi 7 avril.

Nouvelles attaques successives. Des centaines et des centaines d'obus tirés. De jour comme de nuit, le ravitaillement en projec­tiles fonctionne, non sans danger. Les chevaux, plus vulnérables, ont payé un lourdtribut, mais les munitions n'ont pas manqué, mal­gré le rythme infernal auquel nous les consommons.
Ce sont maintenant des contre-­attaques allemandes qui se dé­clenchent de face et par la plaine où la lutte est sanglante. Nous assurons tous les « barrages ».
Notre vie matérielle ne s'est pas améliorée. Il n'y a pas de cuisine possible ; nous mangeons ce que nous pouvons, quand nous le pouvons, lorsqu'un fourgon de ravitaillement peut nous joindre, et les soins de propreté sont quasi réduits à zéro.

Jeudi 8, vendredi 9, samedi 10 avril.

Les jours suivants sont plus calmes : nous tenons enfin cette crête du Bois de Mortmare, point important qu'il s'agit de garder.

Lundi 12, mardi 13 avril.

Un peu de soleil s'est décidé à luire et de nombreux avions sont apparus. Les Allemands viennent voir où ils en sont, mais leurs appareils essuient, sans grand résultat, les fusillades nourries de nos fantassins.
Au cours d'une reconnaissance vers nos lignes avancées, nous sommes pris sous une salve très précise d'obus. L'un des projectiles a atteint le coin retiré que nous appelons poétiquement « les feuillées », couvrant d'immondices notre aspirant qui s'en sort sans mal.

Lundi 12, mardi 13 avril.

Nos tirs, toujours nourris, visent maintenant les points névralgiques indiqués par nos fantassins et nous surveillons attentivement nos pièces, dont les tubes commencent à se ressentir du surmenage intense que nous leur avons imposé. A notre batterie (7e), après si rude épreuve, deux seulement restent en état de tirer, sans risque trop immédiat d'éclater.
C'est d'ailleurs l'accident qui vient d'arriver (pour la seconde fois en huit jours) au 34e d'artillerie, non loin de nous, l'une des pièces ayant littéralement explosé avec un obus dans le tube, faisant plu­sieurs blessés, tous très grièvement atteints.

Samedi 24 avril.

Ce matin, un miracle ! Sur cette position de boue gluante où nous vivons, voici qu'au pied des buis­sons, toujours luisants de cette humidité perpétuelle qui semble être l'état normal de ce coin pourri, les premières petites fleu­rettes blanches du printemps tendent vers le ciel leurs fragiles corolles, à peine visibles encore, mais qui vont s'ouvrir. Elles accompagneront nos prochaines lettres.

Le 26 avril 1915.

La nuit déjà entamée, on nous réveille dans nos couchettes. C'est un ordre de départ.
Un grand remue-ménage dans l'obscurité, on s'en doute.
Et à 2 h 30 du matin, pataugeant en des ornières gorgées d'eau, la colonne s'ébranle. Vers quelle des­tination ? Un repos, espère-t-on, ou bien... par delà ces villages que nous traversons, quelque nouvelle aventure ?

Camille VILAIN,
lauréat de l'Académie française.



Source Document extrait de l'almanach du combattant 1975, pages 25 à 28,
article : Le bois de Mortmare - avril 1915, auteur : Vilain Camille

Merci à Jean-Claude PONCET