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NOUVELLE MISE A JOUR LE 15 avril 2014

vendredi 25 avril 2014

EN ARTOIS



 LE 9 MAI — LA COTE 140 (1)

Le 25 avril 19I5, la Division est enlevée de Champagne par chemin de fer pour une destination inconnue : les Dardanelles, l'Yser, l'Alsace

Que ne disait-on ? On pressentait quelque chose de grave, mais on était heureux; on quittait les tranchées, pour toujours pensait-on, et dans tous les trains ce n'étaient que rires et chants..

Les trains débarquèrent la Division près de Saint-Pol en Artois, qui était la première destination ; la deuxième, c'était la cote 140 à atteindre le 9 mai.

La Division Marocaine était rattachée au 33e corps que commandait le général Pétain. Jamais préparation d'attaque ne fut entreprise avec si joyeuse ardeur. Il fallait creuser des boyaux, des bataillons entiers y travaillaient ; on créait à la hâte des sapes de départ, des abris de commandement, des postes de secours; en huit jours on mettait sur pied des équipes de pionniers, des signaleurs ; on organisait les liaisons, les approvisionnements, les évacuations. Que ne fait-on avec du cœur et de la confiance ? Or, ni l'un ni l'autre ne manquaient : « Mes hommes partiront sans sacs, pour mieux courir », disait le colonel Pein ; « si leurs vêtements les gênaient, ils iraient tout nus, mais ils sauteront sur la cote 140 ».


Le 9 mai, 6 heures. Le canon commence à faire entendre sa voix ; elle croît, elle s'enfle, c'est un déchaînement qui durera jusqu'à 10 heures, interrompu seulement quelques minutes avant l'assaut comme pour reprendre haleine.

10 heures. Des tranchées, la ligne bondit littéralement, elle surgit au son de la charge ; à droite, successivement les bataillons Noiré, Muller, Gaubert, du régiment Cot, à gauche les bataillons Jacquot, Toulet et Des Garniers, du régiment Demetz.

C'est la ruée ! La lutte d'homme à homme, car le canon n'a pas fait ce qu'il fait de nos jours; l'ennemi n'est pas détruit, les balles sifflent de tous côtés ;: les mitrailleuses crépitent de rage.

Déjà, à la Légion, les commandants Noiré, Muller et Gaubert sont tués et les capitaines Lehagre, Boutin, Jourdeuil, Osmont et tant d'autres, au 7e tirailleurs, le commandant Jacquot, les capitaines Rigault, Guérin, Gresle. Le lieutenant-colonel Cot, commandant la Légion, est blessé.

Mais qu'importe ! nos hommes ont un bût : la cote 140, ils iront. Vieux légionnaires qui trouvent le champ libre à leur traditionnelle ardeur, volontaires tchèques, suisses, belges, grecs, polonais qui ont arboré le drapeau national, et qui réalisent enfin le rêve qui les a guidés jusqu'à nous ; tirailleurs, pareils à une meute découplée, tous se donnent avec le même entrain ; ils franchissent les fils de fer, encore intacts en certains endroits, courent aux deuxièmes lignes, laissant des grappes devant les mitrailleuses qui résistent. La vague passe ; derrière elle, les nettoyeurs de tranchées jouent du couteau, du revolver, de la grenade.

C'est le carnage au milieu duquel, tout à son ministère on voit l'un des aumôniers, l'abbé Gas, courir, bénissant les vivants et absolvant les mourants, sans remarquer les nettoyeurs qui le suivent, comme s'ils attendaient que l'absolution ait couvert les Allemands qu'ils vont occire.

Il semble qu'alors, comme dans une des farandoles d'Arles, où les danseurs entraînent dans leur mouvement toute une suite emballée, la ruée de l'avant attire jusqu'aux éléments les plus éloignés de là Division.

Les commandants de division et de brigade se sont portés en avant, les bataillons de réserve hâtent leur mouvement, les reconnaissances d'artillerie s'élancent bientôt, suivies des batteries du groupe Terrial d'abord, du groupe Chanson ensuite; étonnées et joyeuses de retrouver le grand air après plusieurs mois de stagnation; les T. C., les échelons se mettent en branle. On sent que la Victoire nous tend les bras.

En vain l'ennemi résiste, en vain les feux croisés des mitrailleuses de Neuville-Saint-Waast, de la Folie, de Souchez creusent dans nos rangs de sanglants sillons, les réserves les bouchent, et irrésistiblement le flot monte le long des pentes de là cote 140 ; il balaie tous les obstacles, il arrive au sommet. Il est 11 heures 30. L'objectif est atteint.

Une patrouille de tirailleurs, commandée par le sergent Bouziane, poursuit l'ennemi jusque dans Givenchy.

Mais l'exaltation de la lutte, 4 kilomètres 500 franchis en 1 heure 30, ont mis nos hommes à bout de force physique ; sur la crête toutes les unités sont mélangées ; au premier rang, le colonel Cros, commandant la 2e  brigade, le lieutenant-colonel Demetz, commandant le 7e tirailleurs dirigent la lutte de tous les éléments regroupés, mais les  pertes sont lourdes ; le colonel Pein, entr'autres, est tombé mortellement frappé en menant personnellement sa brigade à l'attaque. Aussi lorsque l'ennemi appuyé par l'artillerie qu'il a pu amener derrière le bois de la Folie, contre-attaque dans l'après-midi, nous sommes obligés, sous sa poussée, de nous reporter quelques centaines de mètres en arrière de la cote 140.

Les zouaves du lieutenant-colonel Modelon, qui arrivent entre 15 et 17 heures, le 4e tirailleurs, sous les ordres du lieutenant-colonel Daugan, qui rejoint à la tombée de la nuit, ne peuvent que relever les unités de tête épuisées. En vain, le 10, tentent-ils d'obtenir un deuxième succès, l'ennemi a réussi à se rétablir, et de nouveaux deuils frappent la Division. Le commandant Toupnot, du 4e tirailleurs, est grièvement blessé ; le colonel Cros, commandant la 2e brigade, le brave des braves, est tué au milieu de ses hommes, et l'aumônier divisionnaire, l'abbé Dubreuil, qui avait atteint la cote 140 avec les premiers éléments, y était tombé sans qu'il fût possible de ramener son corps.


Mais, bien que la fin de la journée n'ait pas répondu aux vastes espoirs du matin, le 9 mai n'en reste pas moins une des pages les plus glorieuses de la Division, que chacun connaît chez nous, et dont il parle avec un souvenir ému. C'est une date que nous avons soulignée du sang de nombreux camarades, mais c'est la date aussi de la première offensive, où le Boche ait mordu la poussière. C'est pourquoi deux fois déjà, nous en avons fêté l'anniversaire, en la consacrant « Fête de la Division ».


(1) Les pages relatives du 9 mai 1915 sont un résumé de récits fait par le capitaine Chevallier, capitaine breveté à l'E. M. de la Division, où il a rendu les plus grands services pendant plus de trois ans.


Sources :
Pages de gloire de la Division marocaine, 1914-1918, Chapelot (Paris)