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EN ARTOIS
(Deuxième campagne : décembre 1914-janvier 1916)
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Ainsi recommence, pour le bataillon, cette campagne en Artois, qui va se prolonger jusqu’au jour où le canon d ’alarme de Verdun l’appellera sur les hauteurs de la Meuse.
Treize mois durant, le bataillon va occuper les mêmes secteurs, mornes et désolés.
Il y subira les obscures misères de deux hivers particulièrement rigoureux ; il y connaîtra l’angoisse et la monotonie des relèves incertaines ; il y sera soumis presque sans trêve à des bombardements de jour en jour plus furieux. Les obus, les balles, les grenades, les luttes corps à corps, faucheront impitoyablement ses rangs toujours renouvelés.
Mais ce que la science destructive allemande ne saura réduire, c’est l’admirable entrain de ces survivants d’un jour, leur enthousiasme, cette gaieté de la tranchée, patrimoine des anciens de Crimée, et qui, cette fois encore, jaillit vibrante et sincère, bien au delà de la petite scène de théâtre dressée en défi sous la mitraille boche.
Et la gloire du bataillon grandit en proportion des souffrances et deuils vaillamment supportés.
Du 13 au 15 janvier, il prend, perd et reprend l’important système de tranchées du Grand Éperon.
Le19, il fonce sur l’adversaire et ramène 117 prisonniers.
Du 3 au 7 mars, il participe à des contre-attaques brillantes qui rétablissent la situation un moment compromise par une très puissante offensive ennemie. Et le 21e corps d’armée enregistre alors, à l’actif d’une des unités du 3e, la citation suivante :
La 6e compagnie (capitaine Crombez) : le 4 mars 1915 chargée de se porter en avant pour assurer la liaison entre deux de nos attaques qui se produisaient sur ses flancs, a sauté hardiment de sa tranchée en plein jour et en terrain découvert sous le feu de l’infanterie et de l’artillerie ennemies ; avec un remarquable élan, a progressé de 100 mètres, s’est cramponnée au terrain et s’y est maintenue jusqu'à la reprise de l’offensive.
(Ordre général n° 44, du 21e corps d’armée, du 13 avril 1915.)
Le 8 mai, chasseurs du 3e bataillon et spahis à pied, groupés sous les ordres du commandant Madelin, attaquent, avec une fougue reconnue dans les rapports allemands, la position formidable des Ouvrages Blancs. Le groupe des grenadiers mérite à son tour la citation suivante :
Le groupe de grenadiers du 3e bataillon de chasseurs : A l’attaque d’un ouvrage allemand très fortement organisé, se sont conduits d’une façon héroïque.
(Ordre général n° 7, de la Xe armée, du 27 août 1915.)
Malheureusement, le chef admirable qui a préparé cette attaque et qu’y n’a cessé d’encourager ses chasseurs par sa magnifique attitude, le commandant Léon Madelin, a été frappé mortellement d’une balle à la gorge, au moment où il faisait à la jumelle la reconnaissance du terrain. Et ses dernières paroles furent qu’on l’emmenât debout, pour ne pas apprendre aux chasseurs qu’il était atteint.
Le commandant Pineau le remplace, et sous ses ordres la lutte se poursuit avec le même acharnement.
Le 13 mai, au cours d’un assaut héroïque, le capitaine Constantin est tué en tête de la 5e compagnie.
Le 25, après préparation d’artillerie, ce sont trois autres compagnies qui, à la sonnerie du Refrain, bondissent au delà des parapets et, la baïonnette haute, s’emparent de toute la position ennemie du fond de Buval.
Chaque semaine va désormais marquer une nouvelle attaque et une nouvelle morsure dans la ligne allemande : du 6 au 12 juin, au bois Carré ; du 16 au 20, à la Tranchée des Saules ; du 26 au 30, au Chemin Creux. Là, une section de la 2e compagnie, sous la conduite du sous-lieutenant Dulys, mérite la citation suivante :
La 1er section de la 2e compagnie : le 29 juin, sous un feu violent d’artillerie et de mitrailleuses, sans pouvoir se creuser d’abris, a fait preuve d’une admirable ténacité en tenant toute la journée un point important qui avait été confié à sa garde. N’a pu être renforcée par une autre section de la compagnie qu’à la nuit tombante, alors qu’elle était réduite de 31 à 3 chasseurs.
(Ordre n° 100, de la Xe armée, du 26 août 1915.)
Ces trois braves : les chasseurs Nigron, Flamand et Martin, reçurent la médaille militaire. Les deux derniers, ainsi que le sous-lieutenant Dulys, tomberont au champ d’honneur dans la suite de la campagne.
Pendant trois mois, l’intensité de combat se ralentit dans le secteur. Toutefois, le bombardement intermittent n’est pas sans nous causer des pertes sensibles : du 5 juillet au 23 septembre, le bataillon sera trente-cinq jours en première ligne et aura32 tués, 211 blessés.
Et soudain, le 25 septembre, après une préparation d’artillerie de soixante-douze heures, très efficace, mais qui a l’inconvénient de donner l’éveil aux renforts ennemis, une offensive française et anglaise est lancée simultanément en Champagne et en Artois. Cette offensive fut enrayée. Mais elle coûtait à l’ennemi près de 100.000 hommes, un important matériel, des pertes capitales : Tahure, Beauséjour, la Main de Massiges, en Champagne ; Loos et Souchez, en Artois.
La 43e division coopéra à cette dernière opération par une forte attaque sur le Bois en Hache, au nord de Souchez.
Trois assauts, exécutés en dépit d’un violent feu de mitrailleuses, permettent au 3e bataillon d’établir un saillant à la corne sud-est du bois ; le chef de l’attaque (capitaine Jeannerod), 5 autres officiers, 73 chasseurs, sont frappés à mort.
L’hiver est revenu, rigoureux et triste, sans rien abattre des énergies. Depuis plus d’un an, le même bataillon tient le même secteur, lugubre entre tous. La rafale de mort y a tout fauché : rien n’y est plus que boue, boue odieuse sans cesse refaite par les sapes, par les mines, par les obus, par les pluies tombant à torrents. Mais cette boue a désormais des noms, les noms de nos grands morts : le boyau Madelin, les tranchées Jeannerod, Dulys… Elle a ses centaines de tertres qui sont les tombes de nos officiers et chasseurs. Et sait-on de combien d’autres des nôtres elle est pétrie, tant est grand le nombre de ceux dont un jour on a plus su que dire, sinon qu’ils resteront les disparus de Lorette !
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